mercredi 16 décembre 2009

Frankie goes to épicerie

- 'Chérie, j'ai décidé d'agir en vrai éco-citoyen responsable et je commence maintenant!'

Ma femme prend son café en riant, elle me regarde à peine, plus rien ne la surprend sur ma nature changeante, c'est pourquoi elle me dit: '' Alors va donc me chercher de quoi déjeuner ''.

Les allées vertes de l'épicier voisin

Je relève le défi et me rendant en joggeant à notre grande surface du quartier, armé de ma plus solide volonté et d'un guide du parfait écocitadin de ma ville.  Déjà ne pas y aller avec la voiture, à chaque semaine j'ai de quoi sauver 1 ou 2 tonnes de CO par année (ah, si je pouvais les échanger sur le cours de la bourse du carbone, je m'en mettrait plein les poches). En poussant le chariot dans le rayon des fruits et légumes, j'ai pris garde de noter la provenance des arrivages comme me le recommande le guide. Mazette! Des bananes du Honduras, des mandarines du Maroc et des raisins du Chili!  Mais c'est qu'ils ont fait plus de voyage que moi , ces petits comestibles là!

OK, je vais prendre des pommes, je choisi d'être local.  Bon!, les pommes sont sur l'étagère des lost leaders en vrac. Oups!, ils viennent de Californie.  Bon sang, ils les cachent où leurs pommes du Québec?  Bingo, à coté des cannes de sirop d'érable, ça doit concept tout ça!  Zut, ils sont déjà préemballées...  Dilemme,  plastica non grata , que mon âme se damne d'utiliser un sac mono-usage. Et bien, les crêpes suzettes avec une montage de fruit vont se faire sans.  C'est no impact fruit ça.  L'écocitadin modèle, il sait se sacrifier à des causes plus grandes que lui, quoi que là ça commence à être la Pologne comme déjeuner!

Du coté bio
Allons vite plutôt voir dans la rangée des fruits et légumes biologiques.  La rangée des aliments biologiques, il est , mmm? Oh!, c'est un bout de rangée, m'enfin, une toute petite minuscule section de Bio, il n'y même pas de quoi pour écrire le mot biologique. Juste Bio là. Point. Je crois savoir pourquoi ils ont des mini-chariots à l'entrée.
Ouf, c'est bio pas à peu près:  la rotation des légumes assez faible me permet de voir les divers stades de putréfaction du piment.  Je laisse faire.  Pour mon omelette, je prendrai les piments dans la section non écologiquement correct, qui ma foi, on l'air si propre qu'ils ont l'air en plastique. Et effectivement, ils sont en plastique, c'est de la déco.  Bon on passe le tour.

Le classicisme me va mieux
Je ferai un déjeuner classique : œuf, patate, bacon .  Bon, pour les patates, c'est facile, je prendrai les plus chères, c'est ceux qui sont cultivées par les fermiers de la région.  Les moins dispendieuses nous viennent des autres provinces. C'est pas compliqué pour moi.  Je ne regarde pas à la dépense quand c'est pour sauver ma planète. Et ma conscience.   Par contre, il faudrait mettre en contact les gens de la distribution des patates avec les services d'autobus Intercité pour leur donner des leçons de gestion du coût du transport: plus les autobus iront loin moins ils coûteront cher...

Proximité,proximité quand tu nous tiens
J'arrive dans la section des produits naturels et je prend de la bonne huile de palme.  Mmm? Palme? Je dégaine mon Iphone pour recherche une information: l'exploitation très rentable des palmiers à huile attire les agro-investisseurs qui, par spoliation des terres des paysans, s'approprient les territoires et remplacent la forêt primaire nourricière par des monocultures de palmiers à huile. Oh!, je vois sur wikipedia que ce n'est pas bio-éthique, ce produit. Je passe par dessus et choisi l'huile d'olive vierge première pression à froid à même une meule de pierre antique certifiée bio-équitable et solidaire.  C'est tout dire que ça va faire effet dans la casserole.  Bonté Divine?! Il n'y a qu'à Kalamata qu'ils les pressent ces huiles?  Ça commence à me les gonfler, cette règle de proximité. Ça va, je prendrai le gras du bacon pour cuire l'omelette, c'est de la récup'!
Mais j'y pense , le bacon  c'est du porc. Encore une méga-porcherie que j'encourage et qui va me polluer la campagne, Nom de Dieu!  Ils ne veulent pas que je mange dans ce guide. Ça suffit, on fera des œufs à la coque et des patates au four sans beurre.  Le bacon et les crêpe suzettes prendront le bord, comme mon guide d'ailleurs, que je balance dans la section des surgelés.

Je ramasse les œufs, les premiers sur le bord, shoutés aux hormones, je m'en fout, et pogne un sac de patate de l'île-du-Prince-Édouard, moins cher.

Je passe au cash
Tout con, je passe à la caisse pour me rendre compte que je n'ai pas mes sacs recyclables. La caissière me regarde d'un œil narquois et entre deux claquements de langue me laisse tomber un : -on sait bien, monsieur roule en Hummer, il se permet de ne pas apporte ses sacs?.  Il y a même un de ces gardiens de la révolution verte improvisés,  qui de sa morale simplifiée, ajoute derrière moi:  -c'est à cause de gens comme vous que la Terre se meure!  .  Une mère console son mioche en lui disant que le vilain pollueur il va être puni un jour, en me jetant un regard qui tue.  Moi, si je pouvais me téléporter dans ma bagnole pour leur faire avaler mes 22 sacs écolos oubliés dans le coffre, ça ferait ma journée.  La caissière dans une autre sinistre claquement de langue prend mon argent et me regarde sortir sous les quolibets des emballeurs boutonneux.

Une pluie diluvienne m'attendait dehors,  changement climatique oblige, dont je suis l'unique responsable. Et je n'avais pas le choix de partir car le vieux schnock moralisateur me suivait toujours en me pitchant des cacahouètes. Et c'est tout  trempé que j'arrive avec les patates fermentées à la maison ( bien sûr que j'avais pris le seul sac pourri du magasin), les oeufs étant déja en omelette sur le trottoir, là où j'avais glissé un peu plus tôt. De tout façon je n'ai plus faim.

J'ai refais un autre café à ma douce en lui demandant de ne passer aucun commentaire.  Elle retourna à son journal, en riant tout doucement.





Tableau  Déjeuner sur l'herbe de  Claude Monet, 1840-1926,  Musée d'Orsay, Paris, France.

Aucun commentaire: